L’humoriste a annoncé vendredi 18 juin sa démission d’Europe 1. Sa hiérarchie lui demandait de retirer une blague sur Eric Zemmour, dans une chronique prévue à l’antenne ce dimanche. Elle se confie dans un entretien… où l’on apprend qu’un journaliste aurait récemment été convoqué pour une pique sur le même Eric Zemmour.
A Europe 1, l’orage éclate, et semble parti pour durer. Inquiets de voir leur radio se rapprocher éditorialement de CNews, les équipes ont décidé ce vendredi de se mettre en grève jusqu'à lundi matin, pour protester contre la mise à pied d’un journaliste. La veille, leurs élus et la Société des rédacteurs de la station publiaient une tribune dans Le Monde, pour alerter sur l’avenir d’Europe 1 au sein d’un groupe - Lagardère - où Vincent Bolloré est désormais majoritaire, via Vivendi.
Quelques dizaines de minutes après l’annonce de la grève, l’humoriste Christine Berrou annonçait sa démission sur Twitter et Instagram. Chroniqueuse dans la matinale du week-end animée par Pierre de Vilno, mais aussi autrice pour la quotidienne d’Anne Roumanoff (qui s’arrête à la fin de la saison), elle avait prévu, dans sa chronique de ce dimanche, une blague sur Eric Zemmour tirée de son spectacle “Depuis 1982”. Comme en atteste le message qu’elle a publié sur les réseaux sociaux, sa hiérarchie lui a demandé de retirer "cette allusion à Zemmour".
Une censure d’autant plus alarmante que plusieurs voix pressenties sur la future grille de rentrée officient sur CNews...où elles côtoient Eric Zemmour. Notamment Dimitri Pavlenko, annoncé par Le Parisien comme potentiel futur matinalier d’Europe 1. Eric Zemmour serait-il d’ores et déjà intouchable sur Europe 1 ?
Jointe par téléphone, Christine Berrou revient, remuée, sur la journée de vendredi. Sa démission signe la fin d'une longue collaboration avec Europe 1, qui a couru sur six saisons depuis 2014. De son côté, le service communication de la station fait savoir que la direction ne commente pour l’instant pas la situation.
Que s’est-il passé ce vendredi ?
Le matin, j’ai enregistré une chronique sur la fête des pères, qui imaginait un enseignant en classe, proposant aux élèves de préparer le traditionnel cadeau : “on va faire des colliers de nouilles ! Non, mon papa il est allergique au gluten ! Bon alors on va faire des porte-clefs en cuir ! Non mon papa il est vegan, il ne porte pas de cuir ! Bon alors on va dessiner des bonhommes qui sourient ! Non mon papa c'est Eric Zemmour, il aime pas les gens heureux.”
C’est ce qu’on appelle une “vanounette”. J’ai donc été très surprise, quand Pierre de Vilno m’a mise en garde en m’expliquant que la semaine dernière, un journaliste a été convoqué par la direction pour un lancement envoyant une petite pique à Eric Zemmour. Il m’a dit qu’il se devait de me prévenir. Que ça pouvait être grave. Je n’ai pas voulu modifier mon texte, et je suis rentrée chez moi. Puis j’ai reçu ce fameux message. J’ai eu une réaction animale, je n’ai pas réfléchi : j’ai répondu tout de suite et j’ai posté la capture d’écran dans la foulée, les mains tremblantes. Après-coup, je suis triste d’avoir publié ce message personnel, envoyé par une personne très professionnelle. Mais il fallait que ça se sache.
Aviez-vous déjà été censurée par le passé ?
Jamais ! En sept ans à Europe 1, et même ailleurs, à la télévision, jamais ! C’est d’autant plus choquant : ça arrive d’un coup, et ça ne concerne pas n’importe qui.
“Une personne dangereuse est en train de devenir intouchable”
C’était une ligne rouge pour vous, d’où votre démission..
On me dira peut-être que j’aurais pu en discuter avec ma hiérarchie… Mais à partir du moment où on me reprend sur une chronique, ce n’est plus possible. Je ne me voyais pas continuer à produire du contenu pour un média que je ne cautionne plus. Si on me coupe pour une vanne de ce type, qu’est ce que je vais bien pouvoir dire la semaine prochaine ? Cette censure signifie qu’une personne dangereuse est en train de devenir intouchable, et je ne veux pas participer à ça. Si l’humoriste ne peut plus faire rire en caricaturant les travers de quelqu’un, c’est gravissime. Car on sert à faire rire, mais aussi à faire réfléchir. En tant qu’auditrice, j’ai déjà pu changer d’avis en écoutant un humoriste !
Dans quel but avez-vous rendu publique cette tentative de censure ?
Je ne voulais pas laisser de terrain à cet état d’esprit. Nous sommes tous des petits rouages de la liberté d’expression. Si l’un des rouages accepte ce type d’entrave, alors la censure devient une normalité. On prend le risque qu’à l’avenir, un média n’engage pas un humoriste pour sa compétence comique mais pour sa capacité à accepter d’être un peu moins subversif. Il faut donc dire un grand non. Non, ce n’est pas normal, et ça ne doit pas le devenir. Quand j’y pense, c’est un comble : Zemmour ne cesse de se plaindre qu’on ne peut plus rien dire...mais là, c’est moi visiblement qui ne peut plus rien dire sur lui !
Quitter Europe 1 après six saisons, ce n’est pas rien.
Oui, d’autant que j’avais bon espoir que ça continue… Je perds un salaire, mais pas seulement. Je perds un travail - l’antenne - que j’aime passionnément, et une radio où j’aimais tout le monde. C’est comme un chagrin d’amour...comme quand on quitte un homme qu’on aime encore. Je vais pleurer pendant trois jours !
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